Je ne le reverrai plus. Telle est ma décision, irrévocable. Pourtant, jusqu’à hier soir, je ne savais pas quoi faire. Je me disais que, peut-être, une ultime discussion était encore possible. Au fond de moi, j’ignorais ce que je pouvais lui dire après tant d’absence, tant de désarroi. Maintenant cette rencontre ne pourra jamais avoir lieu. Il est parti, définitivement. La canicule a eu raison de lui. Depuis la première vague de chaleur, je savais qu’il était en danger mais je croyais qu’il allait supporter le coup. Je croyais que sa résistance n’avait pas de limite. Je croyais qu’il avait l’habitude de cette frénésie du thermomètre, lui qui avait vécu ailleurs, sous des latitudes plus chaudes. A la radio et à la télévision, j’entends les appels en direction des parents des victimes. Je ne me sens pas concerné. Des centaines de corps attendent d’être enterrés. Mon père sera certainement mis sous terre plus tard mais je ne le reverrai plus. Il est des certitudes qui s’imposent d’elles-mêmes, qu’on ne peut pas expliquer. Aujourd’hui, je commence le travail à dix-huit heures, c’est le début du week-end, il y aura beaucoup de clients au bar et surtout à la terrasse. Cela ne me dérange pas. Servir les autres, tel est mon métier depuis des années. Donner à boire et à manger aux uns et aux autres, accompagner la besogne de sourires vrais ou faux, entamer de petites palabres sur l’air du temps ou à propos des problèmes du monde meuble mon quotidien. Je m’y suis fait. Le temps s’enfuit, j’essaie simplement de m’habituer à ses spirales indéfiniment renouvelées ; je n’attends rien du tout.
L’homme qui n’avait rien compris
18,00€
Je ne le reverrai plus. Telle est ma décision, irrévocable. Pourtant, jusqu’à hier soir, je ne savais pas quoi faire. Je me disais que, peut-être, une ultime discussion était encore possible. Au fond de moi, j’ignorais ce que je pouvais lui dire après tant d’absence, tant de désarroi. Maintenant cette rencontre ne pourra jamais avoir lieu. Il est parti, définitivement. La canicule a eu raison de lui. Depuis la première vague de chaleur, je savais qu’il était en danger mais je croyais qu’il allait supporter le coup. Je croyais que sa résistance n’avait pas de limite. Je croyais qu’il avait l’habitude de cette frénésie du thermomètre, lui qui avait vécu ailleurs, sous des latitudes plus chaudes. A la radio et à la télévision, j’entends les appels en direction des parents des victimes. Je ne me sens pas concerné. Des centaines de corps attendent d’être enterrés. Mon père sera certainement mis sous terre plus tard mais je ne le reverrai plus. Il est des certitudes qui s’imposent d’elles-mêmes, qu’on ne peut pas expliquer. Aujourd’hui, je commence le travail à dix-huit heures, c’est le début du week-end, il y aura beaucoup de clients au bar et surtout à la terrasse. Cela ne me dérange pas. Servir les autres, tel est mon métier depuis des années. Donner à boire et à manger aux uns et aux autres, accompagner la besogne de sourires vrais ou faux, entamer de petites palabres sur l’air du temps ou à propos des problèmes du monde meuble mon quotidien. Je m’y suis fait. Le temps s’enfuit, j’essaie simplement de m’habituer à ses spirales indéfiniment renouvelées ; je n’attends rien du tout.
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