Le livre du pays de ma mère
Après la trilogie du côté de mon père, ouverte par Mes Algéries en France, commence un voyage en Frances, d’une France à l’autre, du côté de ma mère.
Lorsqu’elle parlait de mes textes, ma mère les lisait, je le sais, elle ne les commentait guère et je ne cherchais pas à savoir, elle me faisait entendre, discrète, qu’elle n’était pas là, mon père oui, elle non ou si peu, ou si mal.
Je tentais, en vain, de dire à ma mère qu’elle était là dès le premier cri, le premier mot, et que sa langue, la langue française, avait été le premier linge enveloppant, serré, le corps tiré des entrailles maternelles vers la lumière. Ma mère ne m’écoutait pas ou, si elle écoutait, elle semblait n’avoir pas entendu, obstinément elle n’entendait pas ce que je disais.
Nous n’avons plus parlé de cela qui la blessait, je ne voulais pas la blesser.
C’est à ce moment du temps d’une vie où ma mère ne lira pas ce livre que j’entreprends une sorte d’exploration du pays natal de ma mère, exploration fragmentaire.
Son pays qu’elle a oublié, amnésie volontaire, étrange, pour l’amour de mon père, l’instituteur «indigène» de la colonie, et le pays de ses amours, outre-mer, inconnu, éblouissant, sa terre désormais.
Ma mère aurait renoncé à sa tombe dans le petit cimetière français, sous la vieille croix de pierre, pour une tombe chaulée bleue et blanche dans le cimetière marin, hospitalier, là où repose la mère de mon père, là où il ne repose pas. Pour être près de l’homme qu’elle aimait, ma mère, en clandestine, sans se convertir à l’Islam, se serait glissée près de lui dans le linceul confectionné par les tendres soeurs, il ne savait pas, ni elles, que ce drap brodé blanc sur blanc servirait de linceul au frère bien-aimé. Sous la même pierre sans ornement, dans la même terre près de la mer que ma mère, fille de la terre de France travaillée par les aïeux, a adoptée avec ferveur, ils reposeraient dans les odeurs de maquis. L’un tout près de l’autre, des gisants, époux et amants pour l’éternité.
Mais le destin n’a pas voulu cela, et ils reposent dans un cimetière ancien de la campagne française. Sur la pierre cuivrée, les lettres arabes du verset consacré n’ont pas été effacées. Ma mère a longtemps redouté une profanation. Elle ignorait ce que je sais, que la cigogne vigile et le jeune figuier protègent les lettres sacrées, mon père, et ma mère aujourd’hui.
Et me voici, une fois encore, travaillant à une nouvelle archéologie de l’autre côté de l’outre-mer, ainsi je désigne la France, le pays de ma mère depuis le pays natal de mon père. On disait de ma mère qu’elle était une «Française de France» et on insistait «Française de France», on répétait «France». Pourquoi cette répétition ? Que cherchait-on à me dire ? On plaçait ma mère sur la rive étrangère au-delà des mers, elle n’était pas chez elle sur cette terre conquise, habitée, travaillée, elle n’avait ni les mots ni l’accent, ni les gestes des pionniers. On trouvait ma mère belle, élégante, on me le disait, je l’entendais comme un reproche, une Française épouse d’un Arabe… et ces manières de France, impérieuses, on les imaginait ainsi sur ce bord de la Méditerranée, on ne les aimait pas. Et moi la fille de la «Française de France», on ne m’aimait pas, je le pensais.
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