Catapila, chef du village

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Notre petit village était en effervescence ce dimanche. Parce que la mère de Robert devait être baptisée, et le ministre issu de notre région, le député, ainsi que plusieurs autorités devaient y assister.
La mère de Robert avait autour de 85 ans. C’est l’âge le plus probable que nous avons pu lui attribuer, après tous les recoupements que nous avons faits, en tenant compte du fait que Robert, qui est le président des jeunes de notre canton, a lui-même soixante ans. Dans son cas, c’est prouvé, puisque, bien qu’il soit né dans notre village où il n’y avait pas de maternité, nous savons qu’il est né dans le même mois que l’un de ses cousins. Lui, est né en ville dans une maternité et détient donc un acte de naissance en bonne et due forme. Robert est le cinquième enfant de sa mère qui en a eu huit, et cette dernière nous a dit elle-même quelle s’était mariée autour de l’âge de 16 ans, bref, après tous nos calculs, nous lui avions donné 85 ans. C’est Nicéphore, le prêtre catholique de notre village, qui avait insisté pour connaître son âge le plus probable et nous avait astreints à faire tous ces calculs. «Est-ce que son dieu fixe une date limite pour entrer dans son paradis ?», pestait Robert.
La mère de Robert vivait dans son village, voisin du nôtre, depuis la mort de son mari. En principe, chez nous, lorsque le mari meurt, un de ses frères peut épouser sa veuve. Une fois épousée, la femme devient le bien de la famille de son mari, que l’on se lègue entre frères. Mais la mère de Robert avait un si sale caractère qu’aucun des frères de son mari ne voulut d’elle. Après quelques années passées dans la famille de son mari, où tout le monde lui rendit la monnaie de la vie qu’elle avait fait subir à son mari et que tout le monde qualifiait d’infernale, même si ceux qui les ont bien connus nuancent un peu les choses, elle retourna dans son village. Bâtie comme une lutteuse, et jalouse comme une femme blanche, elle se battait avec son mari chaque fois qu’il commettait une infidélité ou la contrariait. Elle ne battait pas son mari qui n’était pas une mauviette, non, les deux se bagarraient, et le plus souvent, c’était lui qui avait le dessus. Mais il arrivait parfois que les hommes les plus solides de la cour soient obligés d’aller soulever la mère de Robert par les bras et les jambes pendant qu’elle rouait de coups de poing son mari sur lequel elle était assise. Elle avait certes un mauvais caractère, mais tous ceux qui savent décrypter les messages muets de l’amour dans certains soupirs, certains gestes, certains sourires ou regards, reconnaissaient qu’elle aimait profondément son mari, et que ce dernier l’aimait tout autant. Certes, c’était elle qui pourvoyait à tous les besoins de la famille, comme toutes les femmes du village. Chaque jour elle allait dans la brousse chercher la nourriture et cultivait du riz dans son champ situé à cinq kilomètres du village, pendant que lui, comme la plupart des hommes de chez nous, passait l’essentiel de ses journées à palabrer et à boire du vin de palme. Mais lorsqu’il chantait sa bien-aimée lors des veillées au clair de lune, il y avait des inflexions dans sa voix qui ne trompaient personne de ceux qui savaient dénicher l’amour derrière l’intonation d’une voix ou dans l’entrelacs des trémolos tirés d’un arc musical.


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