Revue de presse
Né en 1942 en Centrafrique, Etienne Goyemidé est une figure familière de la première génération des écrivains noirs dont l’uvre est postérieure à l’indépendance : son parcours en a fait également un héros de la lutte pour l’alphabétisation et la démocratisation de la culture, puisque licencié en sciences de l’éducation, diplômé d’anglais, il y sera successivement proviseur de lycée, directeur général de l’enseignement, puis ministre de l’éducation et de la recherche, avant de mourir, en 1997. Mais avant même ce cursus honorum, il faut souligner son extraordinaire production littéraire : poésie, théâtre, nouvelles, roman, tous les genres lui ont permis d’exprimer son expérience, ses sentiments, ses convictions.En rééditant en format de poche Le dernier survivant de la caravane, les éditions Le Serpent à plumes ont choisi de rendre accessible un roman bouleversant, construit comme une histoire racontée, le soir, par un vieillard Donnant un corps littéraire à une forme de transmission orale qui a été, pendant des siècles, le propre de la création d’Afrique noire, Goyemidé fige dans la clarté brutale de son livre toute une mémoire douloureuse, telle qu’elle s’était constituée, de récit en récit, de parole en parole.Cette expérience tragique et sanglante, c’est celle de l’esclavage, mal séculaire dont l’Afrique a tant souffert, et qui avant même d’être le fait des dominateurs blancs des dix-septième et dix-huitième siècles, fut d’abord perpétré, entre frères, par des africains sur des africains. De la capture qui détruit le village jusqu’à la réussite de l’insurrection finale de la troupe de prisonniers contre leurs ravisseurs, le cheminement de la caravane est une descente aux enfers continue, une plongée hallucinée dans l’horreur inhumaine au croisement du cinéma fantastique et du théâtre brechtien.
A plusieurs moments l’art d’Etienne Goyemidé saisit le lecteur qui ne peut refréner un sentiment de terreur et d’incrédulité devant les souffrances endurées, les sévices, qui sont reflétés avec un naturel parfait dans les yeux d’un adolescent, enlevé avec tout son village et emmené en esclavage. “Comme si les gens s’étaient concertés, plus personne ne criait ni ne pleurait. C’en était trop. On avait atteint le tréfonds de l’horreur avec cette décapitation de mon oncle, l’éclatement de cette tête de bébé, et toutes ces vieilles personnes soumises à la flagellation ” Et pourtant les jours qui suivent seront pires
Au centre du livre, alors que la caravane progresse entraînée par ses gardiens, ” fantômes ” en gandoura, c’est par une nuit sans lune que le griot Ngangoualendo sort sa cithare, et raconte l’histoire terrible de la vieille Ebérékeu, qui libère son village d’un féticheur homicide, Lassou, en se sacrifiant elle-même. Exemple plein de sens, car dès le lendemain la révolte libératrice aura lieu : peu en réchapperont, sinon les enfants, maintenus à l’écart de la boucherie. Mais à l’image de la vieille Ebérékeu, le chef du village, Koyapalo, horriblement mutilé, fera expier ses forfaits à la ” grande sauterelle haute sur patte ” qui conduit les esclavagistes -même au prix de sa vie.
Dénonciation fuligineuse et magnifique de l’esclavage, formidable plaidoyer pour l’humanité, le roman d’Etienne Goyemidé est un regard lucide et fier sur les heures les plus sombres de l’Afrique. Et avec la force propre à la tradition orale, son roman devient témoignage. — Ali Attar — — Afrik.com
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